RAFFU

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Le Regard du Monde

Le monde te regarde. Tu pensais être le seul à regarder, à contempler cette chose froide, pleine de vie mais toutefois sans aucune réaction à ton égard. Comme un bestiau énorme elle passe à côté de toi sans même te remarquer. Elle te laisse ainsi derrière son sillage tel un morceau de paysage, sans existence propre. Tu pensais être seul mais te voilà maintenant plusieurs. 

Comment est-ce arrivé ? Il a fallu une longue période de pratique, d’observation assidue. De volonté  qui se casse les dents sur des problèmes insolubles… et puis un jour l’équation se résout d’elle même. Ça te fait l’effet d’un tremblement de terre. Tu viens de te rendre compte que le monde que tu observais fait en réalité partie de toi même. Il est nullement le monde extérieur comme il est coutume de le nommer. C’est en fait comme un morceau de ton corps que tu examines, la paume de ta main, les plis de sa peau. Comment est-ce possible ? Tout ce temps sans te rendre compte. Tu avais fini par brûler une énergie folle car tout simplement tu ne trouvait aucun d’intérêt à cette tâche ingrate. Une tâche si simple mais ainsi coupée de toute raison logique perdait tout son intérêt. Avec la compréhension et l’intérêt vint alors l’affect et la passion du monde. Désormais tu sais que ce qui te fais face, c’est une partie de toi même et cette partie tu y tiens comme à la prunelle de tes yeux. 

Le peintre pars donc à travers le monde pour peindre ce qu’il voit. Il a déjà en lui la connaissance que ce qu’il peint, c’est lui même. Cela en fait au moins un peintre averti. Une nature morte, une scène d’océan déchaîné, un crâne de vanité, il se peint lui même. Un corps de femme, des formes abstraites c’est encore lui. 

Un jour il arrive sur les berges d’un océan qui s’étendent au bord d’un désert brûlant. Le peintre s’apprête alors à peindre un rocher devant la maison d’un pauvre pêcheur. Alors qu’il ébauche les premiers jets au charbon sur le rocher, le pêcheur sort de son logis et lui demande ce qu’il va faire. 

« Je vais peindre des yeux qui regarde la mer. »

« Je préfère autant pas. » répond le pêcheur. Puis il poursuit comme suit :

Pourquoi ne prends tu pas l’argent que tu vas dépenser dans les couleurs et ne vas-tu pas acheter du pain pour le donner aux pauvres qui n’ont rien à manger. 

En plus ici, on aime guerre voir sur nos murs des choses sans vie qui nous regardent sans rien dire. Pour nous c’est inquiétant et même choquant. Le tout puissant ne nous a pas mis sur la terre pour que nous créions des idoles à son images. Il y a d’autres choses à faire dans ce monde. 

Dans notre pays, Nos dirigeants, eux, ont dépensé beaucoup d’argent pour faire réaliser de tel peintures sur des murs immenses. Ainsi beaucoup d’argent pour que des idoles que nous n’aimons pas nous épient tout le temps, alors que regarde, dans notre désert brûlant, beaucoup de gens meurent encore de faim. Le Tout Puissant te regarde, si tu passes le temps qu’il t’as donné ici bas pour faire des choses inutiles, il le saura. 

Le peintre resta longtemps assis à regarder les vagues, le morceau de charbon dans ces mains immobiles… il ne peint jamais ce rocher qui surplombait l’océan.

Aujourd’hui encore il n’a pas digérer le message profond du pêcheur. Le peintre sent bien qu’une vérité retorde se cache dans les interstices de cette rencontre au bord de l’océan. Quelque lumière qui se cache encore dans la brumes et les embruns des vagues échappe irrémédiablement à son entendement. 

La raison pour laquelle tout son être refuse d’embrasser cette réalité est qu’il n’a pas encore fini avec son travail de peintre, et d’ailleurs ce n’est pas le genre de travail que l’ont fini un jour. Tout son être tremble à l’idée que cette vérité lui révèle l’inutilité de sa peinture. Et que du jour au lendemain il se retrouve devant le monde et ces journées interminables, sans rien d’autre que ses yeux pour regarder. Comme le pêcheur. 

Continuer à regarder le monde, le peintre a continué sur cette voie car finalement il ne sait rien faire d’autre. Tout comme le pêcheur finalement qui lui aussi, connaît au moins la pêche. 

Beaucoup de non-sens et de confusion : voilà ce qu’on gagne à remettre en question les choses qui nous sont propres et naturelles. 

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